Fabriquer du papier à base de feuilles mortes... Valentyn Frechka, jeune Ukrainien installé en France, poursuit méthodiquement son rêve, désormais sur le point d’inaugurer près de Paris une usine-pilote alimentée avec les feuilles de la capitale. Le scientifique de 23 ans fait partie des trois finalistes du prix du Jeune inventeur 2024 de l’Office européen des brevets (OEB). Le nom du lauréat sera connu le 9 juillet.

À l’origine de son projet, une démarche ambitieuse et très réfléchie : « utiliser les fibres pour faire du papier ! Les feuilles contiennent de la cellulose, la matière principale du papier. Et très vite nous avons eu de bons résultats ».

Rapidement le projet remporte une compétition nationale, puis des médailles aux États-Unis, au Kenya, en Europe... Il reçoit un premier soutien du WWF qui en entraîne d’autres, notamment dans l’Union européenne où le jeune entrepreneur choisit de s’installer pour ses « accélérateurs d’innovation ».

Ainsi naît en 2020 la société Releaf Paper, désormais hébergée à la Station F, pépinière de start-ups qui accueille son équipe de 20 personnes. L’entreprise produit de la pulpe à partir des feuilles de Kiev, mais elle vend aussi le papier sous son nom, après fabrication par des papèteries ukrainiennes à partir de la pulpe fournie : « il fallait montrer que ça marche ».

Le processus mis au point permet aujourd’hui de produire une tonne de cellulose à partir de 2,3 tonnes de feuilles mortes, évitant l’abattage de 17 arbres, explique l’inventeur, associé à un compatriote pour la partie développement de l’entreprise qu’ils ont cofondée.

Une usine-pilote en juillet

La transformation des feuilles se fait, après nettoyage minutieux, par un traitement thermo-mécanique impliquant broyage et ramollissement à vapeur haute pression. Objectif : isoler les fibres, pour produire une pâte semblable à de la pâte de bois. De l’eau est utilisée, mais pas de produit chimique, insiste son concepteur. Pour faire du papier, cette pulpe, qui offre des fibres courtes, est ensuite mélangée à du papier recyclé, qui apporte des fibres longues.

Parmi les clients de Releaf Paper, L’Oréal, Weleda, Logitech... qui ont commandé cartons, sacs, carnets...

Ces techniques, Valentyn Frechka les a aussi affinées à l’École internationale du papier et des biomatériaux de Grenoble, qu’il a intégrée en 2022 au moment où la guerre a éclaté entre son pays et la Russie.

En Ukraine, l’activité de Releaf se poursuit. « Nous sommes Ukrainiens, c’est une façon de soutenir notre économie. Et nous avons toujours notre équipe là-bas, cinq personnes », dit Valentyn Frechka, loin désormais de sa famille et de son village de Transcarpatie, près de la frontière roumaine.

Mais pour Releaf Paper, place aujourd’hui au déploiement en France. Grâce à un soutien européen de 2,5 millions d’euros, l’entreprise doit inaugurer son usine-pilote aux Mureaux (Yvelines) en juillet, « avant la saison des feuilles ». Un espace de 2.000 m2 qui traitera 5.000 tonnes de pulpe par an. D’ores et déjà, l’entreprise a sécurisé 25.000 tonnes de feuilles annuelles auprès de la Ville de Paris.

Le coût de ce papier sera de 10 à 30% plus cher qu’un papier recyclé, mais Valentyn Frechka ne doute pas qu’il baissera avec l’essor de la production. Et déjà il songe à d’autres développements, pour des "papiers tissus" (mouchoirs, papier toilette...). « Les consommateurs au 21e siècle ne veulent plus qu’on coupe des arbres pour cela. Nous devons trouver des alternatives », dit le jeune inventeur, qui s’intéresse de près aux propriétés des feuilles de bananier ou encore d’ananas.