Les fragrances solubles dans l’eau ont longtemps été réservées aux enfants. Un segment qui se déploie encore aujourd’hui, à l’image de L’Eau Soilogne de Petit Bateau, de Cabriole d’Hermès ou Bonne Étoile de Dior. On pense aussi aux déclinaisons estivales des classiques, lancées au début des années 2000, pour sentir bon sous le soleil.

Une multitude de lancements

Les parfums sans alcool séduisent désormais une clientèle nouvelle, en quête d’une sensorialité plus intime. « Le lancement de J’adore Parfum d’Eau de Dior en 2022 marque un vrai tournant en réinventant la promesse de plaisir », affirme Sylvain Eyraud, Directeur Marketing & Communication chez Takasago. Le bouquet floral, empreint de naturalité, s’enrichit d’une gestuelle généreuse pour la peau, à travers une texture laiteuse que suggère le flacon opalescent.

Guerlain a dévoilé début mai L’Eau Rose, une version sans alcool de La Petite Robe Noire. Cette réinterprétation conjugue le plaisir de la formule originelle — un brin plus florale — à la fraîcheur hydratante de l’eau de rose. Une première pour la marque qui décline son best-seller dans une nouvelle gestuelle soin, plus douce pour la peau.

Ces bases aqueuses se prêtent aussi bien à la parfumerie fine qu’aux soins des cheveux et du corps. Un avantage à l’heure où les produits multifonctionnels rencontrent un vrai succès, à l’image de la brume parfumée Sakura pour corps et cheveux de Rituals.

Si le parfum soluble dans l’eau semble être en vogue, il jouit aussi d’une meilleure image. Et l’alcool se trouve parfois dans le viseur des autorités. « En Californie, la parfumerie d’intérieur connaît des limitations drastiques relatives à la présence d’alcool dans les parfums. La réglementation impose un taux équivalent à 18% maximum composés organiques volatils dans les produits de type diffuseurs à bâtonnets. Or, pour un parfum classique, composé d’un concentré de parfum dans une base éthanol, les molécules alcoolisées sont considérées comme des molécules volatiles », explique Thomas Delmas, Directeur Technology chez Cosmo International Fragrances. « La parfumerie fine avait historiquement bénéficié d’exemptions, mais la pression s’accentue. Les concentrations maximales sont désormais définies à 75%, et devraient être réduites à 50% d’ici 2031 », poursuit-il.

Un contexte propice à l’élaboration de nouvelles générations de produits !

Nouvelles technologies

Fin 2023, Cosmo International Fragrances a ainsi déposé le brevet de la technologie AquaElixir, promettant de hautes concentrations de parfums solubilisables dans l’eau, avec un effet hydratant, une meilleure tenue, et une puissance plus affirmée dans l’évolution qu’un parfum classique. Le tout étant 100% biodégradable et 100% d’origine naturelle.

Même démarche chez Expressions Parfumées, qui a dévoilé lors du salon in-cosmetics 2024 sa technologie Aqua Hybrid. Celle-ci permet de ciseler des parfums solubles dans l’eau à des dosages élevés, tenaces et puissants, « épousant parfaitement la tendance du naturel, avec un rendu sophistiqué. Nos formules vont juqu’à 99% de naturalité », affirme Marie-Eugénie Bouge, Directrice de Marketing & Communication.

Takasago avait été pionnier il y a une dizaine d’années avec AquaScent, une technologie de micro-émulsion de parfum : des micro gouttelettes si fines qu’elles laissent passer la lumière, pour un rendu transparent, réparties dans l’eau de manière homogène grâce à des tensio-actifs.

« C’est une véritable alternative à l’alcool car c’est la gestuelle parfumée qui s’approche le plus de la parfumerie traditionnelle, en termes de transparence et de texture, notamment grâce à l’amélioration des pompes », explique Marine Ipert, parfumeure chez Takasago. La base aqueuse permet surtout d’intégrer au parfum des actifs de soin et d’hydratation. « Mais aussi d’offrir un aspect doux pour la peau, au toucher satiné », poursuit-elle.

De quoi satisfaire la demande skinification du parfum ! Une tendance qui touche toutes les catégories de la beauté, brouillant les frontières entre les produits de soins de la peau et les autres.

« Les parfums solubles dans l’eau ont l’avantage d’être clean. Leurs propriétés hydratantes se prêtent parfaitement aux brumes pour cheveux, très en vogue, mais aussi à la tendance du layering », affirme Marie-Eugénie Bouge. « Ces parfums sans alcool sont en outre éco-conscients, car ils nécessitent des dosages plus faibles pour la même puissance et une meilleure tenue », poursuit-elle. « La concentration d’utilisation d’AquaElixir dans le produit fini permet de diviser par quatre l’utilisation de ressources biosourcées par rapport à l’alcool d’origine végétale, réduisant ainsi l’impact environnemental du produit final », ajoute Thomas Delmas.

Le parfum sans alcool embrasse la tendance green de la beauté, il a une image positive dans l’inconscient du public. Le consommateur a l’image d’une formulation plus courte, qui délaisse l’alcool pour se concentrer sur l’essentiel : le parfum. À l’image de la signature du parfum J’adore Parfum d’Eau : « de l’eau, des fleurs, c’est tout ». « Mais dans la réalité, ce type de formulation est plus ‘care’ que green », nuance Sylvain Eyraud.

Des fragrances transformées

Mais ces technologies modifient aussi l’expression du parfum. En effet, la base alcoolique amplifie la courbe d’évaporation des ingrédients, alors qu’une « technologie telle qu’Aqua Hybrid en lisse l’évolution », explique Marie-Eugénie Bouge. Avec une base aqueuse, le parfum est moins évolutif, plus monobloc. Un avantage, selon elle, puisqu’aujourd’hui « la décision d’achat en boutique se fait dès les notes de tête ». Mais cela de formuler différemment « pour compenser l’effet liftant de l’alcool en tête ».

« Si le parfum est bien construit, toutes ses facettes restent présentes, malgré un déploiement moins séquencé », affirme Marine Ipert. D’autant que des innovations permettent aujourd’hui de « remédier au côté linéaire des bases aqueuses », souligne Thomas Delmas.

Certaines molécules ont moins d’affinités avec l’eau que d’autres, à l’image des agrumes, en tête, mais aussi des muscs ou des bois, en notes de fond. C’est aussi le cas de la vanilline qui n’est pas stable dans l’eau. « On les utilisera dans une moindre mesure, afin d’obtenir un concentré de parfum compatible avec la base aqueuse. Certaines facettes olfactives sont plus complexes à adapter, mais ne vont pas disparaître pour autant. C’est plus une question d’adaptation qu’une contrainte », poursuit Marine Ipert.

Quoiqu’il en soit, au vu de ses nombreux atouts et d’une pression réglementaire toujours croissante, certains voient dans le parfum soluble dans l’eau l’avenir de la parfumerie ! Pour Thomas Delmas, il pourrait même représenter une part significative des lancements dans les cinq prochaines années.

« Les deux gestuelles pourront cohabiter sans être en concurrence », tempère Marine Ipert. « La base aqueuse offre certes une alternative à l’alcool, mais ce dernier reste la matrice la plus neutre pour laisser le parfum s’exprimer. L’alcool reste, en outre, moins coûteux. Les bases aqueuses nécessitent un temps de développement très long, très technique. Pas moins de trois ans pour la gamme sans alcool Clean Reserve que Takasago a conçue à l’aide d’AquaScent pour Clean Beauty Collective », explique-t-elle.

« L’alcool apporte une vraie claque de fraîcheur », que n’offre pas une base aqueuse, estime Sylvain Eyraud. « Mais le parfum soluble dans l’eau aura une existence propre. Il dresse un pont entre le parfum et le soin. À terme cette parfumerie pourrait aussi accueillir des actifs liés au bien-être, grâce aux programmes neurosciences des maisons de composition ».

Le parfum sans alcool dessine ainsi les contours d’une parfumerie bienveillante, hédoniste et à fleur de peau. Une dimension soin qui sonne comme un retour aux sources de la parfumerie, en écho aux vertus thérapeutiques prêtées à l’Aqua Mirabilis, dont est issue l’Eau de Cologne.

Les nouvelles technologies de parfums sans alcool seront débattues lors du prochain Fragrance Innovation Summit, le 27 novembre 2024 à Paris. Programme détaillé et inscription ici.