Dans un contexte où la collecte et l’analyse des données prospèrent à l’échelle mondiale, l’industrie de la beauté cherche à remonter toujours plus en amont sur des données facilitant le catalogage des ingrédients, le suivi des tendances et le développement de nouveaux produits. Mais l’innovation issue des données reste confrontée à de nombreux obstacles !

À l’occasion du salon in-cosmetics 2025 qui s’est tenu le mois dernier à Amsterdam, un panel d’experts a tenté de faire la part des choses.

Big data et espaces vides

« Nous devons être très attentifs à la quantité considérable de données disponibles aujourd’hui », explique Lorna Radford, fondatrice et directrice générale du centre de R&D Enkos Developments, basé au Royaume-Uni.

Et selon elle, cette masse pourrait parfois être contre-productive pour l’innovation. Les grandes bases de données, qui rassemblent d’énormes quantités d’informations sur les produits cosmétiques ont ainsi permis à des formulateurs, des marques et des entreprises de créer facilement des copies et des dupes, souligne-t-elle. De plus, pointe-t-elle, l’utilisation croissante d’outils d’intelligence artificielle (IA) basés sur les données a eu tendance à tout « niveler autour de la moyenne », l’exact contraire de ce qui serait nécessaire pour une véritable innovation.

L’industrie doit donc aborder le sujet des données de manière « objective » pour identifier les « espaces vides », affirme-t-elle. « C’est de là que viendra la véritable innovation, plutôt que d’essayer de copier ce que font les autres. Et c’est plus difficile, car cela revient quasiment à s’intéresser aux données qui manquent plutôt qu’aux données existantes ».

Winnie Awa, fondatrice de la plateforme de cheveux texturés Carra Labs, abonde dans ce sens : « On ne sait pas ce qu’on cherche tant qu’on ne repère pas une anomalie ».

Mais, précise-t-elle, dès que ces lacunes ou anomalies sont identifiées, il est crucial d’ajouter une « couche d’expertise » pour éliminer tout biais dans les données et trouver des informations pertinentes.

« Si vous disposez de nombreuses données non structurées, il est parfois nécessaire de procéder à un nettoyage approfondi avant d’obtenir des résultats significatifs », indique-t-elle. « Les données suscitent un certain engouement, mais encore faut-il en extraire les informations exploitables, surtout lorsqu’elles se comptent en téraoctets (…) Il est crucial de pouvoir interpréter données et informations afin de les utiliser pour créer quelque chose de stimulant, de magique ou de puissant, capable de changer la donne ».

Avenir de l’IA : ChatGPT et les grands modèles de langage

Concernant l’IA et les outils émergents, comme ChatGPT et les grands modèles de langage, le panel estime que des progrès restent à faire avant que ces outils ne soient suffisamment fiables pour la chaîne de valeur du secteur de la beauté.

Timo Von Bargen, cofondateur et co-CEO de la plateforme de données d’ingrédients B2B Covalo, juge que l’IA est idéale pour traiter les « données non structurées », notamment les données documentaires telles que des articles sur des essais cliniques, des fiches techniques, des brochures de produits, des listes d’ingrédients et des certifications en matière de développement durable. Covalo a ainsi utilisé l’IA, comme un outil de « pointage », pour repérer plus facilement des informations dans ces documents, ce qui a permis de réduire les temps de recherche.

Au-delà, Timo Von Bargen indique que l’utilisation de l’IA reste limitée. « C’est une discipline encore très embryonnaire et nous apprenons beaucoup ». ChatGPT, par exemple, croise des « milliers de sources », ce qui donne parfois lieu à des niveaux d’imprécision de 40 à 50 dans l’information finale, ce qui nécessite donc un « nettoyage important des données ».

De son côté, Lorna Radford a déinique qu’Enkos Developments ne s’appuie pas encore sur ChatGPT lors des phases de R&D, car lors des tests visant à intégrer des données in vivo dans le système de l’entreprise, l’outil n’a atteint un degré de précision que de 85%, « ce qui n’est pas encore suffisant ».

« J’ai vraiment hâte de voir comment nous pouvons utiliser ces modèles, mais pour l’instant, ce n’est pas aussi performant que de faire appel à un chimiste qualifié et compétent », explique-t-elle. « Lorsque les modèles sont suffisamment spécifiques et développés pour un usage spécifique, cela peut être utile, mais essayer d’utiliser les outils d’IA génériques disponibles, ne nous fait pas gagner de temps si nous devons ensuite vérifier leurs résultats ».

Toutefois, compte tenu du niveau d’innovation en matière d’IA, elle estime que le secteur de la beauté verra probablement les choses « très différemment » dans les prochaines années.

Retours consommateurs et identification des besoins

En ce qui concerne les marques, Lorna Radford explique que les entreprises du secteur de la beauté commencent à utiliser l’IA avec succès pour agréger les avis des clients et identifier les problèmes ou retours fréquents, ce qui a facilite la phase d’itération des produits. « Le développement de produits n’est pas un sujet statique », souligne-t-elle, le recueil de données en direct est donc un outil « vraiment puissant » pour déterminer comment améliorer un produit.

Pour Winnie Awa, les données sont effectivement un atout précieux pour mieux comprendre les consommateurs et répondre à leurs besoins. Les plateformes de données intelligentes, par exemple, peuvent regrouper des données pertinentes et fournir des diagnostics sur les préoccupations des consommateurs, contribuant ainsi à identifier les produits pertinents ou à influencer l’innovation, explique-t-elle. Mais, dans ce contexte, ajoute-t-elle, la personnalisation doit rester une priorité. « Oui, les données sont précieuses, l’agrégation est excellente, mais nous devons absolument veiller à ce que la personnalisation soit présente tout au long du processus ».

« …Nous prônons la compréhension du consommateur, de ses besoins et de ses habitudes, afin de mieux concevoir et créer des marques qui lui parlent directement », conclut Mme Awa.