L’aluminium cumule beaucoup d’atouts. Recyclable à l’infini, il s’inscrit de facto dans la circularité avec une filière de collecte et de recyclage solide, au moins en Europe, contribuant ainsi à réduire l’empreinte carbone du produit. Son toucher froid, sa durabilité dans le temps, ses capacités de décors en font un matériau tout indiqué un contexte de premiumisation ! Mais plusieurs défis restent néanmoins à relever.

Le potentiel du recyclé

L’introduction d’aluminium recyclé soulève encore différentes contraintes. Le matériau d’origine post consumer (PCR), souffre d’un défaut de qualité esthétique, et particulièrement de brillance, une donnée clé dans un contexte luxe.

Malgré cela, g.pivaudran est parvenu à répondre aux exigences de la Maison Chanel avec le mascara « Volume » intégrant une part de PCR comprise entre 10 et 20%, selon les modèles.

« Ce fut pour nous une étape importante. L’axe PCR est important parce que les clients sont demandeurs. Aujourd’hui nous travaillons différents pourcentages de PCR pour aller du brillant au mat. Nous estimons la limite entre 18 et 20% pour avoir un joli mat et entre 8 et 10% pour avoir un joli brillant en restant toujours dans le cahier des charges client », explique Hervé Delaigue, directeur commercial et développement.

Une démarche qui impose, selon le directeur, la mise en place d’un approvisionnement sécurisé et optimal. « C’est un sujet qui avance, nous essayons d’élargir notre panel de fournisseurs pour avoir d’autres propositions », ajoute -il, tout en confiant travailler d’autres axes d’innovation durables en lien avec l’aluminium.

Expert en packaging prestige pour le secteur de la beauté, le fabricant Tesem vient de dévoiler son innovation BRI&Va, une technologie en instance de brevet, permettant de lever justement cette barrière esthétique de l’aluminium brillant. Par la combinaison de deux technologies, BRI&Va (pour Brightening Value) va permettre de faire briller l’aluminium recyclé PCR de manière équivalente à l’aluminium vierge anodisé, et de conserver cette brillance dans le temps.

« Cette technologie de l’aluminium, n’existe pas pour l’heure sur le marché et permet d’avoir toutes les couleurs de l’aluminium anodisé. Chanel a déjà manifesté son intérêt pour BRI&Va et travaille avec nos équipes pour l’utiliser », indique à Patrick Bousquel, directeur marketing et ventes.

Pochet, via sa filiale Qualipac, explore également la piste de l’aluminium post-consumer. Le groupe teste actuellement plusieurs références intégrant 8 à 30% de PCR mais privilégie néanmoins l’axe de développement basé sur de l’aluminium PIR (pour Post Industrial Recycled) issu de ses propres chutes afin de contourner le revers esthétique.

« Dans notre industrie il est encore complexe d’utiliser l’aluminium avec de fortes proportions de recyclé pour atteindre l’esthétique à laquelle nous sommes habitués pour des pièces brillantes. Une des pistes que nous explorons actuellement est de valoriser plus encore nos chutes. En les dégraissant, puis en les compactant pour les renvoyer à notre fournisseur qui les intégrerait dans une coulée qui nous serait dédiée, nous pourrions conserver la qualité exigée par notre marché », assure Nicolas Piffault, directeur RSE du groupe.

Même démarche chez Tesem. « Nous utilisons pour les marques de luxe le ‘Close the loop’, c’est à dire les chutes d’emboutissage d’aluminium le plus pur, avec une qualité identifiée, que nous récupérons pour les valoriser et les réutiliser. Passer de la bauxite à l’aluminium consomme beaucoup d’énergie, lorsqu’on a juste à refondre on divise par trois les émissions de CO2, et avec cette matière tout est permis de la même façon en termes de qualité », assure Patrick Bousquel.

La voie bas carbone

Pour Patrick Bousquel, la polarisation du marché sur des produits beaucoup plus luxueux intégrant de l’aluminium avec gravure, texturisation, effet brillant, oblige en fait à travailler en parallèle un matériau bas carbone.

« Avec de l’aluminium bas carbone, on passe de 6,4 tonnes de CO2 par tonne d’alu à 1,9 par tonne. On divise par trois l’impact de l’aluminium ce qui plait aux marques pour leurs nouveaux projets. Il faut anticiper 2030 avec des produits décarbonés, recyclables ou rechargeables », poursuit -il.

Cet aluminium standardisé mais produit avec une énergie verte et/ou 100% recyclée, apparait comme un sourcing d’intérêt par l’ensemble des acteurs.

« L’achat d’aluminium bas carbone donne de meilleurs résultats en termes de bilan CO2. Beaucoup de structures regardent cette solution qui a plus d’impact au niveau environnemental », souligne Hervé Delaigue pour g.pivaudran.

Le défi mono-matériau

Axilone, de son côté, met en avant le défi de la conception tout aluminium qui facilite le recyclage. Le fournisseur a ainsi commencé par développer une gamme de rouges à lèvres entièrement en aluminium, mécanismes compris, de différents diamètres, du mini au big stick pour différentes applications, et compatible avec de multiples techniques de personnalisation et de décors (anodisation, laquage, embossage, impression, etc.). Une proposition étendue aux compacts, aux mascaras, et aux capots de soin et de parfum.

« Nous avons élargi cette gamme full alu à tous les segments du make-up, mais aussi à tous les segments de la beauté avec des solutions de bouchage parfum et soin. Notre objectif est de continuer à étendre l’offre », indique Lucie Ray-Lalanne, responsable marketing et communication.

De la même façon le groupe Pochet travaille à inscrire l’aluminium en alternative de pièces plastiques dans toutes les catégories, notamment le soin comme l’illustre le développement du nouveau Sublimage de Chanel avec cupule, capot et sur-capot en aluminium.

Aluminium injecté et frappe à froid

Par sa faible densité, l’aluminium peine néanmoins à retrouver le poids inhérent aux codes du luxe, en particulier pour les capots de parfum. Pour surmonter cette difficulté, les fournisseurs travaillent à d’autres techniques.

La frappe à froid ou cold forging permet d’envisager des épaisseurs plus importantes et des géométries différentes.

« Historiquement nous utilisons surtout le process de l’aluminium embouti, mais cela limite l’épaisseur et la géométrie des pièces. Nous explorons donc de nouveaux process et notamment la frappe à froid et l’aluminium injecté encore très peu utilisé dans la beauté, et regardons actuellement comment proposer des pièces qui seraient des alternatives au zamac », indique Mélina Weinman, directrice marketing et innovation du groupe Pochet. « C’est un axe de R&D innovation très important car ce matériau va prendre de l’ampleur dans les prochaines années. Nous avons déjà présenté des capots en aluminium injecté et des pièces en cold forging », ajoute-t-elle.

Chez Axilone, pour qui l’axe d’innovation principal est « d’aller plus loin dans la complexité des formes et le rendu premium », la frappe à froid s’impose également comme une solution à explorer.

« Nous avons des résultats très positifs avec la forge à froid d’aluminium qui permet d’obtenir des formes simples à complexes, et d’avoir un aspect or en anodisation plutôt qu’en galvanisation comme c’est le cas sur le zamac », note Reynald Trochel, directeur innovation d’Axilone. « L’usage de l’aluminium en substitution aux matériaux historiquement employés engendre de nombreux challenges techniques, car il n’a pas les mêmes caractéristiques mécaniques que le plastique, notamment concernant l’étanchéité, l’élasticité et la friction. Nous devons donc travailler sur les designs, les process, pour offrir les mêmes fonctions qu’un pack multi-matériaux  ».

On le comprend, il n’existe pas de solution parfaite et les acteurs de la filière travaillent aux meilleurs compromis. Une chose est toutefois certaine, l’innovation et la multiplication des solutions permettent d’aller dans le bon sens.