Les distributeurs spécialisés continuent de dominer le marché russe des parfums et cosmétiques (63,2% des ventes). En 2018, le pays comptait 450 chaînes de parfumeries, cosmétiques, et drogueries, soit 16000 points de vente [1]. Signe de la santé retrouvée du secteur, le nombre de boutiques des dix acteurs principaux a augmenté d’environ 20% au cours des deux dernières années. La croissance la plus spectaculaire reste celle du nouveau leader Magnit Cosmetics qui a devancé L’Etoile.

Un marché en mutation

Les ventes dans les boutiques physiques ont renoué avec la croissance, avec une progression de 16% par rapport à 2014 [2]. De leur côté, les ventes en ligne sont en pleine croissance avec un panier moyen plus important sur internet qu’en boutique physique. Les boutiques en ligne bénéficient de leur capacité à livrer tous les lieux d’un territoire caractérisé par son immensité et sa faible densité. Les consommateurs apprécient également la richesse des informations et des conseils disponibles sur internet.

Décorations du Nouvel An le 8 janvier 2018 dans le centre de Moscou, théâtre du Bolchoï et grand magasin TSUM. Photo : Andrey Golinkevich / shutterstock.com

La crise qui a suivi la chute du rouble a toutefois redistribué de nombreuses cartes. Dans un contexte de contraction des achats, les chaines spécialisées ont renforcé leurs positions, à l’aide de de promotions et de programmes de fidélité à grande échelle. Beaucoup ont misé sur le développement de leurs marques propres pour proposer des gammes plus accessibles et ont ouvert leurs rayons à des marques locales qui ont su profiter d’une compétitivité retrouvée après la dévaluation du rouble.

Pour maintenir le niveau des ventes, les grandes chaînes telles que L’Etoile, Rive Gauche ou Ile de Beauté ont pris l’habitude de proposer de très nombreuses promotions, notamment dans le cadre de leurs programmes de fidélisation et ont demandé des efforts de leurs fournisseurs. Une tendance qui a affecté de manière significative le segment premium dont le chiffre d’affaire a stagné en 2017.

Certaines marques de moyen de gamme ont particulièrement souffert des années de crise, disparaissant notamment des circuits de distribution régionaux où les marques européennes sont très concurrencées par l’Asie. Le segment du luxe, en revanche, a été relativement peu touché par la crise. Moins présents dans les grandes chaines ces produits sont surtout distribués dans les grands magasins, comme Tsum à Moscou, dans des boutiques de niche ou dans les magasins à l’enseigne des marques.

Parfums : Un public expert et enthousiaste

Le parfum reste une catégorie phare du marché russe. Là aussi la crise de 2014 a été bien surmontée mais a largement restructuré le marché. Les consommateurs russes préfèrent désormais les petits formats (30 et 50ml). La frontière homme/femme tend à s’estomper, les femmes aspirent à d’autres horizons olfactifs, séduites par les parfums mixtes, très en vogue, tendance insufflée notamment par la niche. Le layering a également le vent en poupe. Si les consommateurs achètent le plus souvent en boutique pour la possibilité de tester (64%), d’échanger (38%), ou par habitude (24%), internet séduit pour ses prix attractifs (57%). [3]

Le public est de plus en plus connaisseur, avec une véritable curiosité pour la niche, promesse d’exception. Si la clientèle des parfums de niche est relativement aisée, celle-ci tend à s’ouvrir à la classe moyenne, qui n’hésite pas à économiser pour s’offrir quelque chose de qualitatif. Les consommateurs sont très friands de rareté, de nouveauté, mais sont surtout en quête de diversité olfactive. Au-delà des fruités floraux et/ou gourmands très populaires en Russie, la clientèle s’ouvre à d’autres territoires olfactifs. Les notes fraîches et hespéridées restent intemporelles, mais les parfums plus capiteux tels que les chyprés, boisés et orientaux connaissent un succès croissant. Le public est en attente d’une parfumerie plus complexe.

En réponse à ce public exigeant, les professionnels deviennent aussi plus pointus. Et là encore, les marques locales ont su saisir leur chance. Face à l’essor des boutiques de niche, les chaînes diversifient leur offre. Elles s’adaptent en créant des parfums accessibles mais qualitatifs, n’hésitant pas à faire appel à des parfumeurs renommés tels que Bertrand Duchaufour, par exemple. Les évaluateurs mais aussi les parfumeurs russes, qui sont de plus en plus nombreux à lancer leur marque indépendante, sont prêts à venir étudier en France, au GIP de Grasse ou le temps d’un stage de quelques jours à Paris, pour se perfectionner et pour gagner en savoir-faire.

« Il y a une volonté d’offrir la meilleure qualité possible à tous points de vue. on trouve encore une vraie liberté et curiosité en Russie », explique Bertrand Duchaufour.

Du côté des boutiques de niche, il a fallu créer des alliances pour résister à la concurrence des grandes chaînes, comme l’explique le directeur du label distributeur SuperCosmetics, qui distribue des marques comme État Libre d’Orange, Olfactive Studio, Histoires de Parfum notamment dans son réseau de boutiques Cosmotheca. À l’image du projet La Niche, qui regroupe chaque année sur le salon InterCHARM une sélection de marques comme Miller Harris, Micaleff, Urban Scents, The Harmonist, Profumi Del Forte, Neemah, Comptoir Sud Pacifique, Mauboussin et depuis cette année des petites maisons de parfumeurs russes, afin de leur offrir une meilleure visibilité auprès des distributeurs.

Ainsi, les effets de la crise s’estompent peu à peu pour laisser place à un marché enthousiaste, qui tend à suivre l’Europe en termes de goûts et de pratiques, et où la niche a encore de beaux jours devant elle.